Le monde encaustique de Ludwig Von 88
Denis Constant-Martin
De 1983 à 2000, Ludwig Von 88, groupe rock/punk minimaliste, s ?est imposé sans les médias grâce à un art immodéré de la dérision. Ses enregistrements, aujourd ?hui réédités, entretiennent la nostalgie d’une époque où la création n’avait peur de rien ?
Dès 1985 dans les salles de fortune qui accueillent les concerts rock et punk, « Houlala ! » est devenu le cri de ralliement du public qui se presse pour entendre les P’tits Lus : Karim Berrouka, Bruno Garcia (il a pris du grade depuis, puisqu’il est devenu Sergent), un bassiste et une boîte à rythmes. Un groupe spectaculaire, aux musiques élémentaires mais diverses (rock, punk, un peu de reggae, un rien de salsa, etc.) portant des textes où la vie apparaît comme une course grotesque, aux règles débiles, dominée par des « prophètes et des nains de jardins » ridicules mais parfois dangereux, une vie où le salut ne peut venir que du sarcasme et de l’imagination. En ce temps-là, se souvient Karim Berrouka, « les grosses maisons de disques étaient totalement déconnectées de ce qui se passait dans une partie de la jeunesse et des gens qui faisaient de la musique... Elles ne s’occupaient que des groupes qui vendaient beaucoup. Et puis, il y a eu une sorte d’explosion créative qui est partie un peu dans tous les sens ; ça a correspondu avec la libération des ondes et ça a permis de structurer une scène dite alternative, des salles, des réseaux... » Avec les Béruriers noirs, les Négresses vertes, la Mano negra, Ludwig Von 88 participe à ce mouvement qui renouvelle et la musique et les conditions dans laquelle elle est créée.
Une chanson donne immédiatement le ton : « HLM » (dans Houlala !). Une esquisse de reggae pas triste et, en trois couplets, la morne vie d’une cité ordinaire. Le dernier met le rêve en espoir : « Dans le parking de mon HLM/On a construit un ULM/Pour aller jusqu’au Congo/Aller manger des bonbons Haribo. » Les Ludwig ne cessent de voir le monde avec des yeux d’enfants qui ont lu Tintin ou Thorgal, ont été bercés par le Manège enchanté et ont suivi les aventures de Oui Oui ; d’enfants qui ont grandi et découvrent les horreurs de la misère, la niaiserie de la télé et la violence des pouvoirs. Ils rêvent de partir mais se moquent de ce songe tourné en raid délirant d’un vengeur masqué (Houlala2, la mission) ; ils préfèrent les bonbons à la shooteuse ; ils raillent les idoles absurdes qui n’arrivent pas à la cheville des héros de leurs jeunes années (Prophètes et nains de jardin). Il y a de l’outrance dans ces chansons, qui contrebat le sérieux ordinaire du rock et du punk, et l’humour porté à cette incandescence devient une forme d’engagement. Contrairement à d’autres, les Ludwig ne chantent pas des slogans politiques. « Si on fait du premier degré, dit Karim, on rameute les gens qui sont d’accord ; peut-être que ne pas dire directement les choses, c’est aussi demander aux gens de faire un effort, de s’interroger. En revanche, Hiroshima n’est absolument pas au second degré. Je n’ai pas voulu faire un disque de dénonciation pur et simple. J’ai voulu offrir un témoignage à des jeunes qui ont entendu parler d’Hiroshima mais en entendront de moins en moins parler. J’ai retracé l’histoire ; j’ai mis des extraits de textes ; on trouvera plus de détails dans les livres mais le public des Ludwig ne ferait peut-être pas l’effort d’aller lire un livre sur Hiroshima... »
Date de création : 07/10/2006 @ 22:05
Dernière modification : 07/10/2006 @ 22:05
Catégorie : Divers
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