Aurélie Tinel
L’été, c’est la saison des free-parties. Nombreux sont ceux qui s’inquiètent des risques relatifs à la drogue, l’environnement ou la sécurité, et veulent soumettre ces fêtes techno à autorisation préfectorale. Mais les organisateurs défendent leur principe de liberté totale. Reportage.
Minuit, l’heure du crime. Après avoir longuement cherché sur internet l’infoline (messagerie téléphonique) d’une de ces soirées clandestines que sont les free-parties, nous recevons un courrier électronique : Grenoble 3672*1 1805. On appelle. Grésillements, puis, sur fond de techno, une voix à l’accent marseillais nous indique à vive allure la démarche à suivre : « Grenoble, prendre la direction Voiron. À Voiron, tourner après le premier feu, puis à gauche [...], puis un chemin de terre : vous êtes arrivés ! » Il est une heure du matin, on embarque dans la voiture.
Au péage de Voiron, il y a un monde incroyable. Nous suivons le cortège de fêtards. Un quart d’heure plus tard, la police nous accueille et indique où se garer... en relevant consciencieusement le numéro d’immatriculation de la voiture. Les policiers sont de bonne humeur et discutent volontiers avec les arrivants. Ils resteront jusqu’à la fin de la fête sans intervenir. Dix minutes de marche plus tard, nous découvrons enfin le site. C’est un immense terrain surplombé d’une forêt, parsemé de mini-lacs et de mini-collines. L’endroit est vraiment bien trouvé, ce « décor » donne une atmosphère irréelle au lieu. Nous remarquerons au petit jour que le terrain est en cours de construction, et que tout cela est en fait l’oeuvre des bulldozers.
Le « mur de son » crache une techno hardcore, rien à voir avec ce que l’on entend à la radio. Ces murs (d’enceintes) sont le coeur de la fête, les teufeurs sont amassés devant et exécutent la danse du teufeur, somme toute assez proche de la danse des canards : ils sautillent sur place, les fesses en arrière et les poings en avant. La techno de teuf est basée sur des basses vraiment très fortes (ou boum-boum). Par-dessus, sont savamment mixés de petits bruits électroniques et des phrases de films cultes, comme Pulp fiction ou Las Vegas parano. La techno a l’avantage d’être très évolutive, le DJ maîtrise donc entièrement son auditoire. Certes, la musique n’a pas l’exclusivité de l’envoûtement des raveurs, mais elle y contribue beaucoup.
Nous quittons ce plateau de vibrations pour aller à la rencontre de la faune kaki - tous les habitués sont piercés et vêtus de surplus militaire. Curieux, pour des gens qui rejettent toute forme d’autorité... Mais leurs ancêtres les hippies détournaient déjà la veste militaire pour manifester contre la guerre du Viêt-Nam. Cette tenue est confortable et tient chaud, elle est donc idéale pour passer la nuit dehors.
Mais la mode n’est pas ce qu’il y a de plus intéressant dans ces rassemblements. Le coeur de la teuf, c’est la multiplicité des initiatives personnelles, et l’esprit ouvert que l’on retrouve en free : aucune discrimination et pas de préjugés. Tout le monde parle à tout le monde, et dans la mesure du possible aide son prochain. Il ne faut pas croire que tous sont toxicomanes, bien au contraire. 80 % des personnes qui se rendent en free le week-end sont insérées dans la société. Ces fêtards travaillent et sont généralement très actifs dans les milieux associatifs ou artistiques. Les organisateurs sont de vrais passionnés de musique, mus par l’idéal d’un espace autogéré, où chacun est responsable de soi-même.
Au milieu de la nuit, une jeune fille prend le micro et accompagne de sa voix cristalline la techno violente. L’ensemble est du plus bel effet. Au même moment, sont projetées sur un drap blanc des images psychédéliques pleines de couleurs, entrecoupées de scènes de films de guerre. À quelques pas du mur de son, des flammes s’élèvent. Cinq ou six jongleurs, cracheurs de feu, et deux filles qui font danser autour d’elles des chaînes aux extrémités enflammées s’amusent. Très vite, un cercle se forme. Tour à tour, chacun va au centre et montre ce qu’il sait faire. Tout le monde sait donc jongler ?
Il est maintenant 5 h 30, le jour se lève. On met des visages sur les masses informes de la nuit. Près d’un van, un jeune couple vend ses créations : statuettes, piercings et pipes en pâte fimo (pâte à modeler que l’on peut cuire), ainsi que des tee-shirts peints à la main. Un peu plus loin, de grandes bâches sont tendues. Elles abritent le stand du Tipi (une association de lutte contre les exclusions et de prévention en milieu festif). Matelas, couvertures et tentures sont disposés par terre. Au fond de la tente, des tables, dont une pour le testing des stupéfiants. Un bénévole de l’association teste la réaction chimique des produits afin de savoir s’il y a beaucoup de déchets. Un tableau est installé à l’extérieur et dénonce les « mauvais ecstasy », ceux qui sont des accélérateurs cardiaques, donc très dangereux. L’autre table est occupée par des dépliants qui expliquent les risques de chaque drogue, ainsi que des kits-sniffs, des seringues et des préservatifs. Une fontaine d’eau est à disposition.Les drogues semblent être consommées davantage en free-party puisqu’elles le sont à visage découvert, contrairement aux discothèques et autres établissements de nuit, qui font très peu de prévention. Ne pas reconnaître le besoin de prévention revient à nier l’usage de drogues dans des lieux publics. Une hypocrisie. Le mouvement techno est l’un des seuls à avouer la prise de risques liés à ces manifestations, et les organisateurs font souvent venir des associations ou des organismes de prévention.
Comme ces fêtes sont clandestines, les teufeurs sont face à leurs responsabilités. Mais soumettre chaque free-party à une autorisation préfectorale reviendrait à les restreindre considérablement. On dit que les fêtards saccagent les champs, mais rares sont les teufs organisées en terrain cultivé. De plus, le matin, le nettoyage des lieux est assuré par les organisateurs. Chacun participe. Il est important de conserver une alternative aux boîtes de nuit, endroits clos et très chers. La free-party c’est gratuit, à l’extérieur et en dehors de toute logique de profit. Ces mouvements spontanés de la jeunesse ne doivent pas disparaître.
Date de création : 07/10/2006 @ 22:04
Dernière modification : 07/10/2006 @ 22:04
Catégorie : Divers
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